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16 avril 2014 | La Revue POLYTECHNIQUE 02/2014 | Physique

Une installation suisse destinée à ITER

Le Centre suisse de recherche en physique des plasmas (CRPP), qui fait partie de la Faculté des sciences de base de l’EPFL, a mis en service à l’Institut Paul Scherrer, une installation d’essai permettant de tester les câbles électriques des aimants supraconducteurs destinés au réacteur expérimental thermonucléaire ITER. Ce projet, nommé Edipo (European Dipole Project), vient compléter l’installation Sultan, en service depuis une trentaine d’années.
Le réacteur thermonucléaire expérimental international ITER (en anglais International Thermonuclear Experimental Reactor) est un projet de type tokamak, dont le but est de démontrer la faisabilité d’un réacteur nucléaire de 500 MW thermiques utilisant le principe de la fusion. Ce projet réunit trente-quatre pays: ceux de l’Union européenne (à laquelle la Suisse est associée), ainsi que l’Inde, le Japon, la Chine, la Russie, la Corée du Sud et les États-Unis. Le réacteur est actuellement en construction sur le site de Cadarache, dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur.
 
Edipo (à gauche) et Sultan sont les seules installations au monde qui permettent de tester des câbles supraconducteurs dans des conditions similaires à celles du futur réacteur de fusion ITER. (Photo: CRPP)
 

Les aimants supraconducteurs: un élément essentiel

Les aimants supraconducteurs font partie des pièces maîtresses d’ITER. Ils permettent de contenir le plasma, à une température comprise en 100 et 150 millions de degrés, en évitant tout contact dans la chambre à vide. En effet, si le plasma entrait en contact avec les parois de la cuve, il se refroidirait instantanément, ce qui stopperait le processus de fusion et endommagerait l’enceinte. Il est donc essentiel que les câbles supraconducteurs présents dans les bobines du champ magnétique fonctionnent correctement et que cela puisse être attesté avant la production.
Le système magnétique d’ITER se compose de dix-huit bobines supraconductrices de champ toroïdal, de six bobines de champ poloïdal, d’un solénoïde central et d’un ensemble de bobines de correction du champ magnétique. Par leur action, elles assurent le confinement, le modelage et le contrôle du plasma dans la chambre à vide.
 
La fusion nucléaire
La fusion nucléaire est une réaction au cours de laquelle deux isotopes de l’hydrogène - le deutérium et le tritium - s’assemblent pour former un noyau d’hélium, avec émission de neutrons rapides. La fusion de ces noyaux légers dégage d’énormes quantités d’énergie provenant de l’attraction entre les nucléons due à l’interaction forte. Cette réaction est à l’œuvre dans le Soleil et dans la plupart des étoiles.
Contrairement à la fission nucléaire, les produits de la fusion ne sont pas radioactifs. Toutefois, l’émission de neutrons rapides au cours de la réaction peut transformer les noyaux qui les capturent en isotopes pouvant l’être.
 
Sultan: une première installation
En 1983, le CRPP avait déjà construit à cet effet l’installation Sultan sur le site de l’Institut Paul Scherrer (PSI), à Villigen (AG). Grâce à cet équipement, les scientifiques du CRPP sont les seuls au monde à pouvoir tester des câbles supraconducteurs dans des conditions similaires à celles d’ITER. L’installation, dont la configuration existe depuis plus de 20 ans, a fait l’objet d’un seul rééquipement depuis sa mise en service.
Pour tester des câbles supraconducteurs, les échantillons sont refroidis avec de l’hélium supercritique jusqu’à atteindre 4,5 K. Un courant continu, d’une intensité maximale de 68 kA les traverse, générant un champ de fond homogène de 11 teslas (T) sur une longueur de 450 mm environ. Sultan simule ainsi le champ maximal d’ITER.
 
Edipo: plus moderne et plus puissante
Sultan n’étant pas exclusivement dédiée aux tests des câbles supraconducteurs d’ITER, il a été décidé, en 2005, de construire une nouvelle installation, nommée Edipo (European Dipole Project). Plus moderne et plus puissante, elle doit permettre de générer des courants pouvant atteindre 100 kA et des champs magnétiques de 12,5 T sur une longueur de 800 mm. Le CRPP a participé à l’appel d’offres et s’est vu attribuer la commande.
La construction de l’installation au PSI a été lancée en mai 2011, directement à côté de Sultan. Le 22 mars 2013, la bobine principale d’Edipo a passé avec succès le test de réception, ce qui a représenté un tournant majeur.
 
 

Un spécialiste du PSI, à Villigen. prépare l’échantillon d’un câble supraconducteur destiné au test. Des contacts électriques sont placés sur le côté droit de l’échantillon. Ils sont reliés aux extrémités d’un câble placé à l’intérieur de rails de guidage, qui est déplacé dans un mouvement de va-et-vient par les contacts. (Photo: Forum nucléaire suisse)
 
Des échantillons de 4 m de long
Depuis 2007, le groupe d’environ vingt personnes dirigé par Pierluigi Bruzzone travaille principalement sur les tests des supraconducteurs d’ITER. Six des sept partenaires du projet (l’UE, la Chine, le Japon, la Russie, la Corée du Sud et les Etats-Unis) fabriquent leurs propres échantillons, qu’ils envoient ensuite à Villigen pour validation. La répartition des coûts de réalisation des tests a été règlementée dans un contrat cadre conclu entre les partenaires.
L’équipe de Pierluigi Bruzzone teste à la fois les échantillons provenant de la pré-production (échantillons dits de qualification) et ceux issus de la production. D’ici à 2016, une centaine de câbles supraconducteurs destinés à ITER seront ainsi testés. Les échantillons de 4 m de long sont livrés dans des caisses en bois. Il faut environ trois mois pour les préparer. Des forces importantes étant exercées sur eux pendant les tests, il est nécessaire d’installer des capteurs et de fixer les câbles avec des barres conductrices. Après l’application d’un traitement thermique, l’échantillon est prêt pour le test.
Les contrôles effectués sur l’installation d’essai durent d’une à cinq semaines. Le fonctionnement des câbles est testé sur plusieurs cycles de charge. Trois opérateurs et deux scientifiques s’alternent dans le cadre de la réalisation et de la surveillance des tests.
 
Deux installations en parallèle
Les masses magnétiques refroidies d’Edipo et de Sultan pèsent chacune près de 20 tonnes. Il faut quatre semaines environ pour qu’une installation passe de la température ambiante à la température de fonctionnement. Les deux installations d’essai, situées l’une à côté de l’autre, fonctionnent à tour de rôle. L’installation frigorifique utilisée pour refroidir Edipo et Sultan se trouve dans la même salle. Avec une puissance d’environ 1 MW en continu, elle est la partie de l’installation qui demande le plus d’énergie.
 
Source: Forum nucléaire suisse, CRPP

 
Le Centre suisse de recherche en physique des plasmas (CRPP)
Le CRPP est le principal laboratoire de Suisse à s’intéresser aux plasmas, ainsi qu’à la fusion nucléaire. Son objectif est de développer cette source d’énergie du futur, tant sur le plan théorique qu’expérimental, par des travaux de recherche et par la formation de spécialistes dans ce domaine.
Le CRPP, qui fait partie de la Faculté des sciences de base de l’EPFL, emploie quelque 135 personnes, dont 110 à Lausanne et 25 à l’Institut Paul Scherrer (PSI) de Villigen, dans le canton d’Argovie. Sur mandat de la Confédération, le CRPP participe depuis plusieurs années, au programme européen de recherche en fusion thermonucléaire contrôlée, qui vise à développer un réacteur à fusion. Dans le cadre de cette mission, il concentre ses activités sur des expérimentations de type tokamak, un réacteur à fusion nucléaire dans lequel le plasma est confiné dans une chambre immatérielle de forme torique, créée par des champs magnétiques.