L’intelligence artificielle et les médias scientifiques indépendants : comment surmonter la crise ?
Les médias scientifiques indépendants, souvent constitués de petites structures, jouent un rôle essentiel dans la diffusion d’une information rigoureuse et spécialisée. Cependant, ces acteurs sont confrontés à des défis majeurs. L’économie de plateforme, la mutation des usages médiatiques et l’émergence de l’intelligence artificielle (IA) bouleversent leur modèle économique et fragilisent leur pérennité. Ces enjeux étaient au cœur des discussions lors du 5ᵉ Forum des médias romands, organisé à Lausanne le 9 octobre 2024, avec la participation du Conseiller fédéral Albert Rösti.
Des défis structurels pour les médias indépendants
Une crise accentuée par l’économie numérique
Les petites structures médiatiques, en particulier dans le domaine scientifique, subissent de plein fouet l’impact des plateformes numériques. Celles-ci captent une part croissante des revenus publicitaires et imposent une visibilité conditionnée à des algorithmes opaques. Ces médias se trouvent dans l’impossibilité de rivaliser avec les géants du numérique, qui exploitent souvent leurs contenus sans rétribution équitable.
Les éditeurs scientifiques indépendants se heurtent également à une transformation des habitudes de consommation. La gratuité perçue de l’information en ligne réduit leur capacité à fidéliser un lectorat prêt à payer pour des contenus de qualité, accentuant leur dépendance à des financements extérieurs.
Les menaces liées à l’intelligence artificielle
L’essor de l’IA constitue un autre défi de taille. Les générateurs automatiques de contenu, s’ils permettent d’accélérer certaines tâches rédactionnelles, posent la question de la fiabilité des informations produites et de la concurrence déloyale. Ces outils menacent également la crédibilité des médias scientifiques en rendant plus difficile la distinction entre informations validées et contenus pseudo-scientifiques.
Les réponses politiques face à la crise
Les mesures présentées par Albert Rösti
Lors du Forum des médias romands, le Conseiller fédéral Albert Rösti a rappelé l’importance de préserver le journalisme, qu’il considère comme un pilier de la démocratie. Il a présenté plusieurs axes d’action destinés à soutenir l’ensemble du secteur médiatique :
- Mise en œuvre d’un droit voisin pour garantir une juste rétribution des contenus journalistiques par les grandes plateformes.
- Révision de la loi sur le droit d’auteur pour protéger les contenus scientifiques et spécialisés contre une exploitation abusive.
- Opposition à toute réduction de la redevance audiovisuelle, afin de maintenir des financements stables pour les médias d’information.
Des mesures insuffisantes pour les petites structures
Bien que ces actions constituent une avancée, elles restent insuffisantes pour répondre aux besoins spécifiques des petites structures indépendantes. Celles-ci ne bénéficient souvent pas des aides indirectes comme les rabais postaux ou les subventions d’envergure, réservées aux grands groupes médiatiques. Leur fragilité économique les rend d’autant plus vulnérables face aux mutations du secteur.
Un enjeu fondamental : la culture scientifique dans les médias
La montée du désintérêt pour l’information scientifique
Un défi majeur pour les médias scientifiques réside dans la faible culture scientifique d’une partie croissante de la population. Les réseaux sociaux et la désinformation captent l’attention au détriment des contenus rigoureux. Selon des études récentes, une proportion significative de la population, notamment parmi les jeunes, est chroniquement sous-informée.
Cette situation est particulièrement préoccupante pour les médias scientifiques, qui dépendent d’un lectorat capable de distinguer information validée et pseudo-science. Une telle dérive constitue une menace directe pour la diffusion des connaissances et pour la société dans son ensemble.
Le rôle de l’éducation aux médias scientifiques
Face à ce désintérêt, plusieurs initiatives émergent pour renforcer la sensibilisation aux enjeux scientifiques. L’éducation aux médias et à l’information apparaît comme une piste prometteuse pour développer des compétences critiques dans la population et pour lutter contre les fake news, qui touchent particulièrement le domaine scientifique.
Les initiatives en faveur de l’éducation aux médias
La création d’une fondation pour l’éducation aux médias
Lors du Forum, le projet de fondation pour l’éducation aux médias a été présenté. Cette initiative, portée par la CIIP, la RTS et des associations de médias, vise à sensibiliser la population aux enjeux de la désinformation.
Pour les médias scientifiques, ce projet pourrait jouer un rôle clé dans la formation d’un lectorat plus critique et averti. En multipliant les ateliers pédagogiques et en impliquant des experts, il est possible de renforcer la capacité des citoyens à évaluer la fiabilité des informations scientifiques.
Les limites du projet
Cependant, les ambitions de cette fondation se heurtent à des contraintes structurelles. Les ateliers organisés restent limités en nombre et en portée. Pour les petites structures scientifiques, il est essentiel de développer des approches complémentaires, comme des partenariats avec des institutions académiques ou des programmes spécifiques destinés aux jeunes chercheurs et étudiants.
Recommandations pour les médias scientifiques indépendants
Vers une stratégie globale
Pour surmonter ces défis, les médias scientifiques indépendants doivent adopter une approche concertée. Parmi les pistes envisageables :
- Développer des contenus numériques à forte valeur ajoutée, accessibles sur abonnement ou par financement participatif.
- Collaborer avec des institutions scientifiques pour garantir une diffusion élargie et renforcer la crédibilité des contenus.
- Participer activement aux initiatives d’éducation aux médias, afin de sensibiliser les citoyens à l’importance des informations scientifiques validées.
Renforcer le soutien public
Au niveau politique, des mesures spécifiques doivent être mises en place pour protéger ces petites structures. Cela inclut des aides directes ciblées, des programmes de formation pour les journalistes scientifiques et une meilleure régulation des contenus pseudo-scientifiques diffusés en ligne.
Conclusion
Les médias scientifiques indépendants, indispensables à la diffusion des savoirs, se trouvent à un moment charnière. La combinaison des mutations numériques, des bouleversements culturels et des contraintes économiques exige des solutions ambitieuses et adaptées à leur spécificité. En renforçant leur collaboration avec les institutions publiques, académiques et éducatives, ces médias peuvent non seulement survivre, mais aussi jouer un rôle central dans la société de demain.