Incertitudes et configuration asphyxiante pour l’industrie
Patrick Linder, directeur de la Chambre d’économie publique Grand Chasseral (CEP)
La jauge permettant d’apprécier les incertitudes et la complexité auxquelles sont confrontées les entreprises de l’écosystème microtechnique du Grand Chasseral plafonne selon le baromètre industriel de la Chambre d’économie publique Grand Chasseral (CEP). Absence de perspectives horlogères claires, volatilité des relations internationales et, récemment, politique américaine aléatoire brouillent plus encore une séquence économique délicate depuis près d’une année. Si, d’un point de vue systémique, le volume d’affaires global semble appelé à connaître une forme de stabilisation pour le deuxième trimestre 2025, des effets délétères de la situation actuelle sont escomptés particulièrement sur les résultats financiers des entreprises et sur les capacités d’investissements. « Aggravée par la politique douanière américaine erratique, cette configuration est inquiétante dans la mesure où elle recèle un risque de mise en péril des compétences des entreprises, sans parler de l’impact sur l’emploi, si des mesures résolues ne sont pas adoptées » déplore Patrick Linder, directeur de la CEP. Pour l’institution, une nouvelle équation avec plusieurs variables s’est établie pour l’industrie de la précision courant 2024 avant de gagner un degré supplémentaire de complexité en début 2025 « Sa résolution dépend principalement du tempo de diffusion de la demande horlogère et de la stabilité des règles de commerce international. Dans ce contexte, il semble essentiel de tirer parti des instruments de soutien conjoncturel jusqu’à la reprise, par exemple en utilisant une RHT étendue à 24 mois, d’autant plus que cela ne coûte rien au contribuable et que le périmètre est à ce stade circonscrit aux chaînes de valeurs de l’horlogerie » analyse Patrick Linder. Aux yeux de la CEP, il convient de constater que le fait de disposer d’un appareil de production cohérent, complémentaire et compétitif offre à la Suisse un aplomb désormais nécessaire sur le plan international.
Prévisions pour le deuxième trimestre
Le baromètre industriel de la Chambre d’économie publique Grand Chasseral (CEP) analyse chaque trimestre les principales tendances de l’industrie de la précision à travers une approche prospective. Représentant environ la moitié des emplois dans la région du Grand Chasseral (Jura bernois), le secteur secondaire se distingue par son homogénéité, la complémentarité de ses chaînes de valeur et les liens étroits entre ses entreprises. Conçu comme un outil de compréhension, le baromètre industriel propose une synthèse régulière des dynamiques du secteur secondaire, en particulier dans le domaine de la microtechnique.
Les anticipations remontées par les entreprises du Grand Chasseral en termes d’entrées de commandes démontrent une forme de stabilisation pour le deuxième trimestre 2025. En dégradation depuis près d’une année, les volumes d’affaires semblent devoir se fixer pour les prochains mois à un niveau faible, mais relativement stable d’un point de vue d’ensemble. Des différences notables existent toutefois selon le domaine d’activité, le positionnement dans la chaîne de valeur ou la spécialisation. « Le halo de préservation des capacités de production engendré par les puissants besoins de l’horlogerie ces dernières années s’est progressivement dissipé, révélant dans le même temps la grande exposition de l’écosystème microtechnique lorsque son domaine d’application historique est incertain » explique Patrick Linder. Récemment, le niveau d’activité de l’industrie s’est avéré particulièrement contracté et la stabilisation prévue ne s’annonce pas suffisante pour résorber les défis de l’écosystème microtechnique, d’autant plus que l’impact d’une intensité de travail insuffisante se mesurent désormais directement. L’introduction de barrières douanières aux Etats-Unis d’Amérique menace d’aggraver lourdement cette configuration avec des effets directs, mais surtout indirects pour les PME industrielles.
Au plan financier, les projections pour le prochain trimestre sont pessimistes et la plupart des entreprises s’attendent à une péjoration de leur résultats opérationnels alors que leur profitabilité est mauvaise depuis plusieurs mois. En termes d’investissement également, les effets d’une longue phase d’activité réduite se manifestent de manière claire avec une érosion nette des moyens engagés dans l’innovation. Cet aspect est particulièrement sensible car il détermine fondamentalement la capacité des entreprises à rester compétitives et détermine donc à terme leur pérennité. L’investissement dans la R&D, les projets et les technologies de production permet essentiellement la diffusion de la demande dans le tissu industriel complémentaire de la région. Son affaiblissement prédit des conséquences dans la durée.
Les entreprises estiment encore disposer d’un niveau d’organisation adapté pour les prochains douze mois. Cette appréciation s’appuie d’une part sur une utilisation généralisée du chômage partiel pour préserver les savoirs et sur la conviction qu’une forme de reprise devrait intervenir en 2026. Le défaut de l’un ou l’autre impacterait plus fortement l’emploi. Dans ce cadre, il faut constater que certaines entreprises risquent de ne pas pouvoir bénéficier de la couverture conjoncturelle offerte par la RHT jusqu’à la reprise hypothétique attendue pour 2026. « C’est regrettable car étendre à 24 mois la période d’indemnisation du chômage partiel donnerait de la visibilité aux entreprises, préserverait l’emploi et les savoirs sans engendrer de coût pour la Confédération » insiste Patrick Linder.
Ces différents paramètres composent le tableau clinique de la configuration asphyxiante qui pèse sur l’industrie du Grand Chasseral alors que les Etats-Unis affichent soudainement un comportement aléatoire qui risque de l’exacerber. Toute prolongation de cette situation hypothèque à moyen et long terme la pérennité des entreprises et celle du système de production interconnecté qu’elles constituent.
Les incertitudes culminent et laissent craindre le chaos
Le baromètre industriel de la Chambre d’économie publique Grand Chasseral (CEP) révèle que les paramètres complexifiant la situation de entreprises du secteur secondaire dans le Grand Chasseral sont particulièrement nombreux et intenses. Ils accentuent une séquence économiquement difficile en obturant la visibilité, en empêchant les projections et en entravant directement le déploiement de l’activité.
La dimension classiquement horlogère est un des aspects importants de la situation actuelle et les prévisions de la branche alimentent les doutes, mais ce facteur n’est pas le seul. Les entreprises évoquent en premier lieu les tensions internationales et la grande volatilité affectant l’économie mondiale depuis l’arrivée de Monsieur Trump à la Présidence des Etats-Unis d’Amérique. Abandons des principes de commerces internationaux, droits de douanes, protectionnisme, entraves et autres perturbations promettent différents impacts considérables sur l’industrie suisse dont les PME de la microtechnique. De plus, les entreprises considèrent être affectées directement (conjoncturel, sectoriel, fonctionnement commercial), mais aussi indirectement au travers des sous-traitants, fournisseurs et clients finaux. Des projets ou des partenariats risquent d’être remis en cause en raison d’attaques visant le fonctionnement de l’économie mondiale ; elles engendrent ainsi une suspension de certaines décisions d’investissement. Au plan sectoriel enfin, les complications dans l’industrie automobile et particulièrement la production du moteur thermique comptent parmi les aspects qui compliquent encore l’activité industrielle.
D’un point de vue général, les entreprises ressentent un cumul de différentes strates se conjuguant pour engendrer une séquence inextricable sans retour à la stabilité des règles du commerce international. Certains acteurs craignent une période de chaos et de turbulences graves. « Dans ce tableau complexe où opèrent différents champs de force, une certitude s’impose : la Suisse dispose d’un atout de premier plan avec ses capacités de production efficientes et complémentaires. Il reste à en tirer les conclusions politiques » résume Patrick Linder.