Aspirine et métastases : une avancée scientifique prometteuse
Des chercheurs ont mis en lumière le mécanisme par lequel l’aspirine pourrait réduire la propagation de certains cancers en stimulant le système immunitaire. Cette découverte pourrait non seulement guider les essais cliniques en cours, mais aussi permettre une utilisation ciblée de l’aspirine pour prévenir les métastases et développer de nouveaux traitements plus efficaces contre la dissémination des cellules cancéreuses.

Photo : www.cam.ac.uk
L’aspirine présente un avantage notable : elle est bien moins coûteuse que les thérapies à base d’anticorps, ce qui pourrait la rendre plus accessible à l’échelle mondiale. Cependant, les scientifiques rappellent que ce médicament peut provoquer des effets secondaires sérieux chez certaines personnes. Des essais cliniques sont actuellement menés afin de déterminer comment l’utiliser de manière sûre et efficace pour prévenir la propagation du cancer. Toute prise d’aspirine dans ce cadre doit donc être discutée avec un professionnel de santé.
Un effet anti-métastatique observé mais encore mal compris
Des études antérieures avaient déjà montré que les patients atteints de certains cancers, notamment du sein, du côlon ou de la prostate, qui prenaient de l’aspirine à faible dose de façon régulière, présentaient une réduction de la dissémination tumorale. Toutefois, jusqu’à présent, le mécanisme précis de cet effet restait inconnu. Selon le professeur Rahul Roychoudhuri, du département de pathologie de l’Université de Cambridge et responsable de l’étude, « malgré les progrès réalisés dans le traitement du cancer, de nombreux patients atteints de tumeurs à un stade précoce rechutent en raison de la croissance tardive de micrométastases – des cellules cancéreuses disséminées qui restent en dormance dans l’organisme. »
Les immunothérapies actuelles ciblent généralement les patients présentant un cancer métastatique avancé. Cependant, une fenêtre thérapeutique spécifique existe lors de la dissémination initiale des cellules cancéreuses, période où ces dernières sont particulièrement vulnérables au système immunitaire. Les chercheurs espèrent que des traitements ciblant cette phase cruciale permettront de prévenir efficacement les récidives.
Une découverte fortuite mais déterminante
L’étude, publiée le 5 mars dans la revue Nature, a mis en évidence ce mécanisme de manière inattendue. Les chercheurs s’intéressaient à la manière dont le système immunitaire réagit face aux cellules cancéreuses disséminées. Ces cellules, bien que séparées de leur tumeur d’origine, sont en effet plus exposées aux attaques immunitaires que celles logées dans des masses tumorales plus vastes, qui parviennent souvent à échapper aux défenses de l’organisme.
En examinant 810 gènes chez des souris, les chercheurs ont identifié 15 gènes ayant un impact sur la formation des métastases. Parmi eux, le gène codant pour la protéine ARHGEF1 s’est révélé particulièrement intéressant : les souris dépourvues de ce gène présentaient une réduction marquée des métastases dans les poumons et le foie.
Un rôle clé du thromboxane A2 et des cellules immunitaires
L’équipe a découvert que ARHGEF1 inhibe l’activité des lymphocytes T, cellules du système immunitaire capables d’éliminer les cellules cancéreuses disséminées. En retraçant les signaux impliqués, les chercheurs ont constaté que ARHGEF1 était activé en présence d’un facteur de coagulation bien connu, le thromboxane A2 (TXA2). Cette découverte fut une véritable surprise : le thromboxane A2 est justement la cible principale de l’aspirine, qui en réduit la production pour prévenir les caillots sanguins, expliquant ainsi son rôle protecteur contre les crises cardiaques et les AVC.
Dans le cadre de cette étude, les chercheurs ont démontré, à l’aide d’un modèle murin de mélanome, que l’administration d’aspirine réduisait significativement le développement des métastases. Cet effet dépendait directement de la levée de l’inhibition des lymphocytes T par le thromboxane A2.
Vers une application clinique ?
Dr Jie Yang, premier auteur de l’étude, explique : « C’était un véritable moment d’euphorie lorsque nous avons compris que le thromboxane A2 activait ce mécanisme de suppression immunitaire. Nous n’avions pas anticipé une telle implication de nos recherches dans la compréhension de l’effet anti-métastatique de l’aspirine. » Les résultats de cette étude pourraient favoriser le développement de nouveaux traitements abordables contre la dissémination du cancer, en complément ou en alternative aux coûteuses immunothérapies actuelles.
L’équipe prévoit désormais de travailler en collaboration avec le professeur Ruth Langley du MRC Clinical Trials Unit à University College London. Ce dernier dirige actuellement l’essai clinique Add-Aspirin, qui vise à évaluer si l’aspirine peut prévenir ou retarder la récidive des cancers précoces. Le professeur Langley, qui n’a pas participé à l’étude, souligne l’importance de cette avancée : « Cette découverte va nous aider à mieux interpréter les résultats des essais cliniques en cours et à identifier les patients les plus susceptibles de bénéficier de l’aspirine après un diagnostic de cancer. » Toutefois, elle met en garde contre l’automédication : « Chez une minorité de personnes, l’aspirine peut entraîner des effets secondaires graves, notamment des hémorragies digestives ou des ulcères. Il est donc crucial de mieux comprendre qui pourrait en tirer profit avant de la recommander à grande échelle. »
Financements et perspectives
Cette recherche a été principalement financée par le Medical Research Council, avec le soutien additionnel du Wellcome Trust et du Conseil européen de la recherche.
L’essai clinique Add-Aspirin bénéficie, quant à lui, du financement de Cancer Research UK, de l'Institut national de recherche en santé et en soins, du Medical Research Council et de la Tata Memorial Foundation en Inde.
Adapté d'un communiqué de presse du Medical Research Council.
Référence : J. Yang et al. « Aspirin prevents metastasis by limiting platelet TXA2 suppression of T cell immunity. » Nature, mars 2025. DOI : 10.1038/s41586-025-08626-7.