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Revue internationale de CRIMINOLOGIE et de POLICE technique et scientifique
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25 avril 2025 | Revue internationale de CRIMINOLOGIE et de POLICE technique et scientifique | Éditorial

À quoi sert la criminologie ?

Thierry Toutin, rédacteur en chef

À la question de Christophe Mincke, directeur du département de criminologie de l’Institut National de Criminalistique et de Criminologie de Bruxelles : « À quoi sert la criminologie et qui sert-elle ? », il est assez délicat de répondre de manière tranchée, tant la criminologie est fracturée en deux camps depuis ses origines. Pour les uns, elle n’est « qu’un outil à disposition de l’État, dont la raison d’être est d’accroître l’efficacité et l’efficience de son action répressive. » Pour les autres, il s’agit d’une discipline d’analyse macrosociologique, issue des rangs des sciences sociales, portant un regard critique sur les normes et les institutions pénales chargées de les faire appliquer. C’est ce que l’on appelle la « criminologie critique » ou « criminologie du contrôle social » (et parfois même : « criminologie de la réaction sociale… »).

Cette dichotomie de la criminologie en deux camps antinomiques et irréconciliables existe depuis ses origines, cohabitant tous deux dans une relative indifférence. Cependant, au fil des ans, des voix se sont élevées contre cet état de fait. D’illustres criminologues, tels que le professeur Denis Szabo, dénonçaient il y a plus de vingt ans, dans un article intitulé Criminologie et psychiatrie, les attaques parfois virulentes de certains intellectuels des années 70-80 issus des sciences sociales : « Ils ont jeté de graves troubles dans l’esprit de maints chercheurs dans les sciences du comportement. Ils tentaient aussi de délégitimer la criminologie “pseudo-science“ subordonnée aux pouvoirs, simples sous-produits des aléas de la procédure pénale… ».

Le professeur Pierre-Victor Tournier, démographe pénal et directeur de recherches au CNRS, a eu le mérite de rassembler, en février 2009 à Paris, plus de deux cents participants issus de tous les horizons de la criminologie. Ce colloque mémorable a débouché sur un ouvrage au titre évocateur : La Babel criminologique. Formation et recherche sur le phénomène criminel : sortir de l’exception française ? Un livre faisant état de la difficulté d’unifier une discipline au statut incertain, dont chaque camp veille scrupuleusement à protéger son territoire.

Enfin, il est impossible d’ignorer l’œuvre de Jean Pinatel, qui a travaillé inlassablement pour une pluridisciplinarité de tous les champs concernés par la criminologie. Denis Szabo souligne d’ailleurs que, dans l’œuvre fondamentale de Jean Pinatel intitulée : Traité de Droit pénal et de Criminologie, ce dernier avait mis de l’ordre dans le foisonnement d’études très dispersées consacrées aux criminels (sciences psychologiques), aux crimes (sciences pénales) et à la criminalité (sciences sociales).

Jean Pinatel démontrait à l’époque la complémentarité, sans hiérarchie, des divers champs de la criminologie, qui n’étaient pas forcément en contradiction entre eux, contrairement à ce que certains laissaient croire… Ainsi, en parfaite adéquation avec l’esprit de nos illustres prédécesseurs, une orientation nouvelle, pour ne pas dire un virage important, a été pris par la RICPTS en 2023-2024 pour accueillir davantage de contributions en provenance des praticiens de terrain. À la lecture des numéros 1 et 2 de la « revue verte », publiés en 2024 cette réorientation est désormais bien tangible. L’acteur de terrain et le praticien y côtoient, au même titre, l’universitaire, le chercheur ou le théoricien, concrétisant ainsi la rencontre entre la connaissance et l’expérience, celle de la théorie avec la pratique.

Criminologie du passage à l’acte ou criminologie du contrôle social ? Transgression de la norme ou normes de la transgression ? Le mérite de la RICPTS demeure celui d’avoir su maintenir et faire cohabiter les deux champs de la criminologie. Bref, un véritable changement dans la continuité. En cela, c’est déjà rendre hommage à la mémoire et à l’esprit de nos célèbres précurseurs.

S’ouvrir à un public plus large en proposant davantage de contributions issues du terrain, plus courtes, un peu moins académiques et comportant des illustrations, c’est offrir à nos lecteurs une vision plus étendue des innombrables facettes d’une science criminelle à la fois captivante et socialement utile. De quoi exciter la curiosité intellectuelle des uns et, pourquoi pas, de potentielles vocations pour d’autres.